lundi 29 février 2016

Séance du 9 février 2016

Traversée du Sahara - Genève - Petté (Nord-Cameroun) Janvier 1977
par Françoise Malleroff


Le « Corps Suisse en Cas de Catastrophe » avait envoyé en automne 1974 des volontaires au Tchad et au Nord Cameroun pour effectuer certains travaux de construction. Mon ami Jacques, à l’époque volontaire, avait donc séjourné quelques semaines à Petté dans un hôpital de brousse dirigé par une Vaudoise, la Doctoresse Anne-Marie Schönenberger. L’hôpital possédait une Land-Rover 4x4 qui nécessitait de sérieuses réparations et Anne-Marie l’avait amenée en Suisse, déposée chez un garagiste pour une complète révision et cherchait un ami, un peu aventureux, pour descendre le véhicule en Afrique en traversant le Sahara. Jacques accepta immédiatement la proposition de cette traversée, et ce fut lui qui organisa le voyage. Quant à moi, j’étais assez hésitante pensant à certaines difficultés d’un quotidien au désert. Mais j’ai accepté ! Anne-Marie souhaitait que trois médecins-amis, anciens bénévoles de l’Hôpital de Petté, nous accompagnent. Il s’agissait de Götz et Hans-Peter, tous deux de Hambourg, respectivement chirurgien maxillo-facial et dentiste, et Dieter, habitant Berlin, ophtalmologue.   ( -- Les textes en italique sont de Françoise Malleroff -- ).


Nous étions en automne 1976. Nous avions fait connaissance de nos compagnons de voyage par téléphone et, d’un commun accord, avions décidé que les Genevois se rendraient à Alger en voiture, rejoints par les médecins allemands qui prendraient l’avion d’Allemagne en Algérie. A chacun sa tâche et ses responsabilités dans la préparation du matériel. Celui qui avait été désigné comme chauffeur-responsable du véhicule, par Anne-Marie, fut Jacques. Il s’était occupé de toute la partie mécanique en se procurant des grilles de désensablement, des pelles, des sangles de remorquage, un treuil, des jerry-cans et des pièces de rechange. Les médecins, les cartes, une boussole, un sextant, du désinfectant pour l’eau, une pharmacie complète.



Le jour du départ, il neigeait. C’était fin décembre 1976. Partis de Genève le matin, nous atteignons le port de Marseille le soir même
Embarquement à Marseille

La Grande Poste d'Alger

Premier janvier 1977, parking de l'hôtel à Sidi Ferrouch, à une trentaine de kilomètres d'Alger. Chargement des bagages et préparation au départ

Parcours de la première semaine, d'Alger aux gorges de l'Arak


Aux portes du Sahara

Une bonne route asphaltée de 200 kms environ nous conduits à Ghardaïa, capitale de la Vallée du Mzab.  Cette vallée fait partie du patrimoine de l’Unesco depuis 1982.  Elle est principalement habitée par les Berbères (Mozabites).

Ghardaïa au centre, à gauche Melika, à droite Benisguen

Marché de Ghardaïa

Grand'place de Ghardaïa

Un Bédouin sorti de nulle part vient observer un changement de roue après crevaison

La route goudronnée fait place au sable, on est averti


El Goléa - les panneaux signalant les trois routes principales qui s'y rejoignent


El Goléa - le tombeau du Père Charles de Foucauld

Il est né à Strasbourg en 1858 et fut lâchement assassiné à Tamanrasset  le 1er déc 1916 par des insurgés tripolitains (en guerre avec la France).  Sa tombe est placée sous la garde vigilante des Pères Blancs. 


El Goléa - le marché

Chaque fois que nous en avons la possibilité, et nous l’avons eue jusqu’à Tamanrasset, nous achetons des produits frais pour nos repas.

Palmerai d'El Goléa

La traversée de la palmeraie aux 300.000 palmiers est un régal. On dit que ce sont les Français qui l’ont sortie de l’abandon et que les palmiers donnent actuellement plusieurs quintaux (100 kgs) de dattes par an.




Le plein d'essence avant de repartir


Avant de reprendre la route, le plein d’essence est impératif. Notre véhicule possède 2 réservoirs. La consommation est d’environ 35 lit/100kms si le « tout-terrain » est enclenché, autrement, 15 litres/100 kms.  Chaque fois que nous passons à proximité d’une colonne d’essence, nous nous approvisionnons

Le Plateau du Tademaït est situé au Sud du Grand Erg occidental, au Nord d’In Salah, il se traverse facilement bien que la route ne soit qu’une tôle ondulée et que les nids de poule y soient nombreux. Dès que l’on entend du bruit dans la carrosserie, le chauffeur s’arrête. Quand il s’arrête et commence à gratouiller, on ne sait jamais pour combien de temps on va rester là !

Bivouac

Petit déjeuner


Peu avant l’oasis d’In Salah, on traverse des paysages de dunes.


Tous les 100 kms environ, on lit sur notre carte Michelin « eau potable salée à 12m » ou « eau bonne guelta ». Sur le terrain, une flèche complète l’info. Il nous est arrivé d’avoir recours à ces puits.

In Salah est une oasis située au centre du Sahara et précède les Gorges de l’Arak dont nous appréhendons un peu le passage. N’avons-nous pas raison ?

Avant d'entrer dans les Gorges de l'Arak



Les Gorges de l’Arak sont un passage obligé entre le Nord et le Sud. Nous les traversons sous un violent orage, complètement inattendu, et nous trouvons subitement ensablés en face du Marabout. Ce lieu est situé dans la dernière partie des gorges de l’Arak et est une étape du Paris-Dakar. Pour s’attirer la bienveillance des esprits invisibles régnant sur la région et éviter leurs foudres maléfiques, le véhicule doit tourner 3 fois autour du Marabout de Moulay Hassan. On s’est renseigné pour savoir qui était Moulay Hassan. Aucun des gardiens n’a pu nous répondre sinon qu’il avait fait beaucoup de bien et que l’on peut continuer son œuvre en mettant une obole dans la boîte à lettre.
A la sortie des gorges, la route reprend une physionomie plus sympathique (enfin façon de parler) et nous roulons à nouveau sur de la tôle ondulée.



Après la tôle ondulée, il faut revoir la fixation des bagages sur le toit


Plaine désertique

Vérifications et service technique

Des gorges de l'Arak à Agadez



In Ekker. Notre attention est attirée par l’abondance de fils de fer barbelés disséminés partout dans les sables. C’est ici, sous cette montagne, que la France a procédé à 13 essais nucléaires souterrains dans les années 60. Rien ne nous incite à flâner dans cet environnement et notre chauffeur appuie sur le champignon pour les derniers 130 kms avant Tamanrasset, l’une des plus belles portes du Sahara. Il est vrai que l’oasis est depuis toujours le passage obligé des passionnés du désert.
 

Rue principale de Tamanrasset, après 2060 km de route depuis Alger


Au marché aux chameaux de Tamanrasset

La route vers le plateau de l'Assekrem

Une excursion sur le Plateau de l’Assekrem est prévue le lendemain. Si la marche reste le plus beau moyen d’atteindre l’ermitage du Père de Foucauld, notre 4x4 peut grimper jusqu'au refuge. Pour couvrir ces 80 kms, il faut compter cinq heures de piste depuis Tamanrasset

Rencontre sur la route



La femme du chamelier

En montant à pied vers l'ermitage du Père de Foucauld



Voici la vue grandiose que nous avons devant nous ! L’Assekrem est un plateau érodé de 250 kms de diamètre composé de coulées de lave. Le Tahat en est le plus haut sommet avec 2918 m d’altitude, et la Saouinan 2650 m.


Assekrem. La maison de pèierre qui sert de chapelle

Bien que vivant une vie monastique, les frères s’occupent un peu de la scolarité des enfants, ne les influencent pas dans leurs croyances religieuses, leur donnent à manger.  Ces frères reçoivent un petit pécule des voyageurs qui dorment au refuge et également quelques dons de visiteurs.  Charles de Foucauld, né dans une riche famille strasbourgeoise, fréquentait l’armée de l’air française, puis fut explorateur avant d’arriver dans le Hoggar où il vécut 5 mois dans cet ermitage, avant d’être assassiné. 


Passée l’ultime frontière de cette porte du Sahara, Tam, la route se fonde en piste avant de se perdre dans les sables du désert africain.
Cette fois on roule sur une piste complètement déserte, en tous cas comme je me les imaginais, aucune indication routière, des carcasses de camions et de voitures sur les côtés. Aucun véhicule roulant en sens inverse. Le désert !

Tassili du Hoggar, à 200 km au sud de Tamanrasset

Pas d'indications routières, mais c'est bien la bonne direction vers In Gezzam, la frontière avec le Niger

Mirage

Le parcours au Niger




Les promeneurs du désert


Teguidam Tessoum - Eau potable à 10 mètres, selon la carte Michelin


Mosquée d'Agadez

Agadez est la plus importante ville du Nord du Niger, située entre le Sahara et le Sahel. Sa région repose sur le massif de l’Aïr à l’Ouest dont un sommet culmine à plus de 2000m et le désert du Ténéré à l’Est. Au Ténéré il existait un arbre, dernier survivant d’un groupe d’acacias qui avait poussé dans le désert. Ses racines atteignaient la nappe phréatique située à plus de 30 m en-dessous de la surface. Il faisait office de repère pour les caravanes. En 1973 l’arbre est renversé par un camionneur libyen … l’arbre mort est au Musée à Niamey et remplacé dans le désert par une sculpture.
La mosquée fut construite au 18e en terre sèche quand la ville était à son apogée. Son minaret pyramidal, hérissé de 13 rangées de pieux renforçant la fragilité de la construction. Ces pieux servent aussi d’échafaudage. Les maisons de la petite ville sont fort bien bâties et ceintes de murailles


Marché d'Agadez

La dernière partie du parcours, du Niger au Nigéria et au Cameroun

Quelle route ?

Nous sommes au Sahel dont le climat est semi-aride. La saison sèche dure entre 8 et 10 mois/an. Les quelques plantes et arbustes ont une grande imperméabilité à l’eau et une grande résistance à la décomposition. Le paysage n’est pas aussi séduisant que celui du Sahara.

Couple Peuhl à In Gall

Les Peuhls sont en majorité de simples éleveurs ou gardiens de bétail, dont ils ne sont souvent même pas propriétaires. Ils sont depuis toujours la cible des différents régimes qui se succèdent et qui les accusent d’être à la solde du précédent.

Couple Haoussa à In Waggeur

Agriculteurs et artisans, les Haoussas ont développé une civilisation urbaine fondée sur la commercialisation d'un artisanat du cuir, du fer, du tissage et des produits agricoles.



La Landrover commence à toussoter, oscille gentiment sur le côté de la route et s’arrête, ça y est, on a crevé ! Tout le monde descend et chacun met la main à la pâte.

Caravanes de sel venant du Ténéré (oasis Bilma), direction Tahoua

Une autre caravane de sel provenant de l’oasis de Bilma, à l’Est du Niger, et se dirigeant vers Mopti, un port sur le fleuve Niger. Le sel est transporté en plaques.

Curieux au bord de la piste


Garage à la frontière Niger - Nigéria, près de Kano

On arrive à Kano, la 2ème ville du Nigeria. Une ville prospère grâce aux échanges de cuir, d’ivoire, d’or, même d’esclaves dit-on. Kano possède une grande industrie cotonnière qui n’est pas le fait d’établissements importants mais plutôt de travail à domicile, ce qui fournit une occupation et un revenu aux familles.

Camion-marché à Maiduguri (un epu comme les camions Migros...)


Maiduguri - femmes à leur popotte. Cette ville est aujourd'hui fréquemment visitée par les membres de la secte islamiste Boko Haram qui sévissent dans cette partie du Nigéria


Dernier jour de voyage: de la frontière nigériane à Petté au Nord-Cameroun. Récolte du coton.


Vaste troupeau dans la rue au Cameroun

Depuis le passage de la frontière camerounaise, je sentais que mes compagnons de voyage devenaient de plus en plus impatients et joyeux en reconnaissant les environs de l’hôpital et, quand nous sommes arrivés, la joie a éclaté. Nous étions attendus, Anne-Marie et son personnel nous ont fait la fête. Installation rapide dans des cases et repas pantagruélique avec moult bières pour les Allemands. Le séjour fut bref : Götz a tout de même eu le temps de donner quelques consultations et opérer. Jacques, avait des travaux de menuiserie qui l’attendaient. Dieter, Peter et moi sommes allés à Maroua, la petite ville à 20 kms. Comme je l’ai dit précédemment, je crois, l’hôpital est au milieu de la brousse et il n’y a pas âme qui vive à plusieurs kms à la ronde.



Hôpital de brousse de Petté. Consultation à la pouponnière


En attente de la consultation pour les femmes


Jeune mère camérounaise avec son bébé

Certains patients viennent de loin et ont passablement marché avant d’arriver à la consultation. Ils présentent leurs papiers dehors, dans la cour, mais sont auscultés à l’intérieur d’une case. Dans l’enceinte de l’hôpital, il y a 4-5 bâtiments d’un étage avec chacun quelques lits pour les opérés. Les familles s’occupent de nourrir le malade et les infirmiers prodiguent les soins. Le coût des interventions est bas, sinon existant suivant les moyens du malade.

Méchoui à l'hôpital de Petté en notre honneur




Le matin de notre départ, le chauffeur de l’hôpital a pris le volant pour nous conduire avec « notre Landrover », qui n’est plus la nôtre, jusqu’au fleuve Logone (frontière entre Caméroun et Tchad) que nous traversons en ferry.

On était averti, N’Djamena était occupée et surveillée par les militaires. On est donc accueilli par des soldats armés qui nous escortent jusqu’à l’hôtel et, à l’hôtel, on est prié de rester à l’intérieur. Interdiction aux étrangers de sortir en ville. On est en pleine affaire Claustre, la triste histoire de cette ethnologue française, enlevée au Tibesti par les rebelles d’Hissène Habré et qui fait l’objet de grandes discussions politiques entre la France et le Tchad.



Au 24e jour de notre voyage, notre avion décolle de l’aéroport de N’Djamena et nous pose à Marseille…. Et le Sahara c’est terminé !

( -- Les textes en italique sont de Françoise Malleroff -- )