De Malagnou à
Kaboul en 4L : Première partie : d’Istanbul à Meched
Par Françoise
Malleroff
C’est la tête pleine des récits des Kessel, Ella Maillard, Nicolas Bouvier et Thierry Vernet que Françoise Malleroff décide de se lancer en été 1974 avec son compagnon Jacques sur les routes d’Asie vers Kaboul. Une Renault 4L d’occasion, avec déjà 100'000 km, est achetée et transformée pour affronter les longues routes et les pistes. Jacques a eu l’expérience du travail humanitaire et du voyage en Afrique, et il mettra à profit toute cette expérience dans les circonstances les plus variées rencontrées au cours du voyage. Départ un matin d’août 1974 de Malagnou vers l’aventure. Première étape : un camping à Jesolo, au bord de l’Adriatique. En général, on roulera pendant 400 à 500 km par jour, et comme c’est l’Asie qui est le but de l’expédition, la traversée de la Slovénie, de la Yougoslavie et de la Bulgarie se fera au plus vite. Moments parfois difficile en Bulgarie, pays strictement soviétique à cette époque et particulièrement méfiant envers les étrangers. L’entrée en Turquie est marquée par la méfiance des gardes-frontière et celle, le long de la route, des policiers d’un pays dominé par les militaires. Pas d’arrêt prolongé à Istanbul, il faut franchir le Bosphore au plus vite pour se retrouver en Asie !
La Turquie d’Asie sera traversée de bout en bout, depuis le nouveau pont sur le Bosphore jusqu’à la frontière iranienne à Dogubayezit à l’extrême est de l’Anatolie. La route jusqu’à la capitale Ankara est belle et rapide, la ville offre de nombreuses représentations des profondes transformations apportées par Kemal Atatürk et sa nouvelle république turque de 1923. Les rencontres avec d’autres voyageurs deviennent plus importantes, car le pays natal est maintenant bien loin. Les campings sont le lieu privilégié de ces rencontres. Au-delà d’Ankara, la circulation devient moins intense, mais il reste les énormes camions de transport de l’Europe vers l‘Asie qu’il faut doubler pour avancer. Sivas, Erzecan, Erzurum : petites villes un peu endormies, avec leurs vieux quartiers, leurs petits cafés plus ou moins éloignés de nos standards de propreté. Mais toujours les rencontres avec les gens, même si la langue crée une forte barrière, constituent un plus bel attrait que les monuments – comme cette invitation impromptue à partager une fête de mariage en pleine campagne. La route devient de plus déserte, il faut franchir le col Tahir à 2475 mètres, le Mont Ararat, situé en Arménie voisine, domine de ses 5165 m le paysage montagneux. C’est le pays de Kurdes, qui dorment dans des villages de tentes et dont les femmes se déplacent à cheval. A quelques km de la frontière iranienne, le château d’Ishak Pasa, datant du XVII siècle, domine un éperon rocheux, dernière marque de la souveraineté turque avant l’Iran. A la frontière, les douaniers iraniens sautent sur l’occasion de la présence de cette voiture suisse pour l’examiner de fond en comble et meubler un peu leur vie trop tranquille. Le trajet jusqu’à Tabriz, capitale de l’Azerbaïdjan iranien, se fera en un seul jour. Moment de repos dans un hôtel, visite de la ville, de son immense bazar, recherche d’un garage pour réparer le radiateur, bricolage effectué par Jacques, puis départ vers Téhéran. Encore un col à franchir, à Quazvin, mais moins important, et arrivée dans une ville à la circulation démentielle. Réparation définitive par échange du radiateur dans un garage Renault. Pas de véritable visite de la ville, vite on se dirige vers Ispahan. La chaleur est terrible, 32 à 38 °C, et il est dur de s’y habituer. Ispahan est une ville beaucoup plus tranquille de Téhéran, où il fait bon se promener sac à dos. Les palais, les mosquées, les écoles coraniques, les jardins fleuris et richement arborés font de cette ville un véritable enchantement. Mais il faut bientôt partir pour aller encore plus au sud, jusqu’à Shiraz. La chaleur est telle qu’il est décidé de renoncer à la route et de faire ce bout-là en avion. Découverte de cette ancienne capitale de la Perse et de ses mosquées. Brève visite chez un médecin pour porter un cadeau de ses amis iraniens de Genève – l’occasion de voir fonctionner une petite clinique où les patients souvent paient en nature (chèvre, mouton), mais aussi, grâce à la générosité de ce médecin, l’occasion de filer en voiture vers Persépolis, à 70 km de là. Visite rapide, juste le temps de voir le « son et lumière » en français avec les commentaires d’André Malraux. Retour vers Ispahan, puis de là, en voiture, vers Téhéran. Incident à l’aéroport, au moment de changer de l’argent tôt le matin : des jeunes gens deviennent trop insistants et la fuite reste la meilleure défense contre ce genre de menace. Au sortir de la ville, crevaison ! Décidément, Téhéran ne laissera pas le meilleur souvenir.
Poursuite vers le nord du pays, vers Gorgan sur la mer Caspienne. Traversée de villages de montagne, avec des téléskis – on se croirait presque en Suisse - , puis de grandes étendues désertiques. La route de Gorgan vers Meched est plus agréable, avec quelques belles forêts et des parcs. Meched est une ville sainte chiite où repose l’imam Reza. D’où les nombreuses mosquées et les pèlerinages qui attirent plus de 100'000 fidèles chaque année. Nouvel incident dans une mosquée où la présence de chrétiens n’est pas bien vue, il faut parlementer, vêtir un tchador, et malgré cela, c’est l’appareil de photo qui aura raison de la hardiesse des visiteurs, et les feront rebrousser chemin. Il faut quitter la ville et prendre la route vers la frontière avec l’Afghanistan. Ce soir-là, dans le camp en dehors de ville, gros coup de blues : « mais que sommes-nous venus faire dans ce pays ? ». Le lendemain, la forme revient, l’attrait de la frontière a guéri toutes les petites misères.
Ainsi, en 23 jours de route, 6'600 km auront été parcourus, et l’Afghanistan reste toujours devant ! Que faut-il admirer le plus ? La vivacité du récit, la multitude des anecdotes qui rendirent cette présentation si vivante, ou simplement le courage et l’esprit d’aventure de ces deux jeunes citadins qui ont décidé on beau jour de se lancer sur la route ? La multiplicité des rencontres, les incroyables moments de connivence avec des gens si éloignés de leur culture et de leur mode de vie européens, et pourtant si proches dans leurs rapports humains ? C’est cela que ces deux voyageurs recherchaient avant tout, et c’est cela qu’ils ont cultivé, plutôt que les visites de monuments ou de musées. Pour une première présentation, ce fut un beau succès. Bravo ! Nous attendons avec impatience la suite et la découverte d’un Afghanistan encore indemne des invasions soviétiques ou américano-européennes, qui ont mis en péril pour longtemps l’accessibilité de ce pays.
Carte générale
Istanbul - La Mosquée Bleue
Sur la route d'Ankara
Camping
Ankara - Mausolée d'Atatürk
Les énormes camions
Terrasse de bistro à Erzecan
Mariage partagé
Sur la route vers Erzerum
Le Mont Ararat (Arménie) 5165 m
Femmes kurdes
Dogubayezit - Palais d'Ishak Pasa
Tabriz (Iran) - Le plus long bazar du monde
Tabriz - pic nic sous les arbres
Entre Téhéran et Qom
Qom - Le tombeau de Fatima
Ispahan - Medersa Chahar Bagh
Ispahan - La galerie officielle du Palais Ali Qapu
Ispahan - Palais royal de Chehel Sotoun
Ispahan - Caravansérail de Shah Abbas
Ispahan - Le Pont Kahju
Shiraz - Echoppes
Shiraz - La Mosquée du Roi
Ispahan - Salle hypostyle de la mosquée Vakil
Ispahan - Mosquée Shah Tcheragh
Sur la route vers la mer Caspienne
Gorgan - Jardin de Dolatabad
Meched - Mausolée de l'Imam Reza
Meched - Discussion animée avec des fidèles
Sur la route vers la frontière avec l'Afghanistan