Quelques voyageurs
Par Jean-Marc Meyer
Abandonnant pour une fois la classique présentation d’un
propre voyage, Jean-Marc Meyer nous entraîne cette fois à la découverte de
quelques voyageurs dont les récits l’ont fasciné. Cinq hommes qui ont choisi de
voir le monde à leur manière, que ce soit avec un véhicule ou simplement à
pied. Il s’agit de John Steinbeck, de William Least Heat Moon et de Colin
Thubron pour les motorisés, et de Peter Jenkins (et sa femme Barbara pour la
seconde partie de son voyage) et de Bernard Ollivier pour les piétons, classés
ici par ordre chronologique.
John Steinbeck
(1902-1968) a 58 ans quand il entreprend, en 1960, de faire le tour des
Etats-Unis dans un « camper » qu’il a lui-même réalisé sur le châssis
d’un pick-up.
Il part avec son caniche Charley pour aller trouver ces Américains dont il a souvent parlé dans ses romans mais qu’il ne connaît finalement pas si bien que cela. Il va partir dans le sens inverse des aiguilles de la montre, depuis Sag Harbor, sa résidence sur Long Island (NY). Il mettra un peu plus de trois mois (27 septembre - 6 décembre) pour faire environ 16'000 km, couchant en partie dans son véhicule et en partie à l’hôtel.
Il raconte ses expériences dans un livre intitulé « Travels with Charley ».
Certains ont mis en doute la véracité de son récit, qui tiendrait plus de la fiction que du reportage. Il n’empêche, il a accompli là un bel exploit et en a rapporté quelques belles rencontres humaines. Les principales réflexions qu’il en a tirées : - Tous les Etats diffèrent par la manière dont les gens parlent aux autres et les traitent. - La société américaine est poussée par la peur. - La société américaine néglige son environnement, sa vie et sa culture. - Les Américains placent la propreté avant le goût. Sa démarche s’est inspire de celle de R.L. Stevenson, avec son récit intitulé “Travels with a donkey in the Cevennes” (Voyage avec un âne dans les Cévennes).
Il part avec son caniche Charley pour aller trouver ces Américains dont il a souvent parlé dans ses romans mais qu’il ne connaît finalement pas si bien que cela. Il va partir dans le sens inverse des aiguilles de la montre, depuis Sag Harbor, sa résidence sur Long Island (NY). Il mettra un peu plus de trois mois (27 septembre - 6 décembre) pour faire environ 16'000 km, couchant en partie dans son véhicule et en partie à l’hôtel.
Il raconte ses expériences dans un livre intitulé « Travels with Charley ».
Certains ont mis en doute la véracité de son récit, qui tiendrait plus de la fiction que du reportage. Il n’empêche, il a accompli là un bel exploit et en a rapporté quelques belles rencontres humaines. Les principales réflexions qu’il en a tirées : - Tous les Etats diffèrent par la manière dont les gens parlent aux autres et les traitent. - La société américaine est poussée par la peur. - La société américaine néglige son environnement, sa vie et sa culture. - Les Américains placent la propreté avant le goût. Sa démarche s’est inspire de celle de R.L. Stevenson, avec son récit intitulé “Travels with a donkey in the Cevennes” (Voyage avec un âne dans les Cévennes).
William Least Heat
Moon (1939-…) est un Américain avec une ascendance amérindienne – d’où
le nom Heat Moon – qui vit à Columbia (Missouri) au moment où il songe à son
voyage, en mars 1978. Il a alors 39 ans, et son poste d’enseignant n’a pas été
renouvelé par la municipalité ; il se sépare de sa femme, et sa vie en est
fortement ébranlée. En réaction, il décide de partir voir son pays. « Avec un sentiment quasi désespéré
d’isolement et le soupçon que je vivais dans un pays étranger, je me suis lancé
sur la route à la recherche de lieux où le changement ne signifiait pas la
ruine et où le temps, les hommes et leurs actes sont reliés entre eux.” Il achète une camionnette qu’il va transformer sommairement
pour pouvoir y coucher et se faire à manger ; il l’appelle « Ghost
Dancing ».
Il part avec 26 dollars en poche et 428 dollars cachés dans le tableau de bord, plus quelques cartes de crédit, prêt à affronter la route dans des conditions plutôt spartiates. Son idée : faire le tour des Etats-Unis par les « routes bleues », c’est-à-dire les routes secondaires.
Il commence son tour en se dirigeant vers l’est et la côte Atlantique puis continue dans le sens des aiguilles de la montre. Il n’a pas de plan précis, il se laisse guider par un nom qui frappe son imagination (Nameless, Dimebox, Wanchese, …) ou par une direction générale dans laquelle il doit aller pour faire le tour du pays. Son seul impératif : éviter à tout prix les autoroutes et les grandes nationales et la culture standardisée qui s’y attache.
Il préfère nettement s’arrêter dans des petits cafés, où il compte les calendriers: s’il n’y en a qu’un, pas la peine d’insister, avec 4, il faut absolument goûter la tarte de la patronne, et s’il y en a 5, il faut garder cette adresse secrète, avant que le succès ne vienne gâcher la qualité de la cuisine ! Son livre, « Blue Highways », est une source constante de découvertes et de rencontres avec des personnes simples, comme lui, mais avec quelles superbes qualités humaines ! Il mettra trois mois pour parcourir environ 20'000 km. Trente après, son livre est toujours réédité et il continue de raconter son aventure et ses rencontres dans des émissions de télévision ou devant des groupes d’aînés.
Il part avec 26 dollars en poche et 428 dollars cachés dans le tableau de bord, plus quelques cartes de crédit, prêt à affronter la route dans des conditions plutôt spartiates. Son idée : faire le tour des Etats-Unis par les « routes bleues », c’est-à-dire les routes secondaires.
Il commence son tour en se dirigeant vers l’est et la côte Atlantique puis continue dans le sens des aiguilles de la montre. Il n’a pas de plan précis, il se laisse guider par un nom qui frappe son imagination (Nameless, Dimebox, Wanchese, …) ou par une direction générale dans laquelle il doit aller pour faire le tour du pays. Son seul impératif : éviter à tout prix les autoroutes et les grandes nationales et la culture standardisée qui s’y attache.
Il préfère nettement s’arrêter dans des petits cafés, où il compte les calendriers: s’il n’y en a qu’un, pas la peine d’insister, avec 4, il faut absolument goûter la tarte de la patronne, et s’il y en a 5, il faut garder cette adresse secrète, avant que le succès ne vienne gâcher la qualité de la cuisine ! Son livre, « Blue Highways », est une source constante de découvertes et de rencontres avec des personnes simples, comme lui, mais avec quelles superbes qualités humaines ! Il mettra trois mois pour parcourir environ 20'000 km. Trente après, son livre est toujours réédité et il continue de raconter son aventure et ses rencontres dans des émissions de télévision ou devant des groupes d’aînés.
Colin Thubron
(1939 - …) est un écrivain-voyageur anglais sur qui la Russie a toujours exercé
une grande fascination. A l’école déjà, il regardait cet immense espace en vert
sur la carte murale du monde qui représentait un monde totalement interdit du
fait de l‘isolement de l’Union Soviétique. En 1982 (il a alors 43 ans), il entreprend
de découvrir enfin ce monde fermé au volant de sa propre voiture. Entrer en
Union Soviétique n’est pas simple, encore moins en voyageant seul et en voiture :
c’est quasiment du jamais vu ! « J’entrais dans ce pays avec, en moi, trop de fébrilité pour être
suffisamment prêt à ce qui m’attendait. Je parlais un russe hésitant… et
j’étais bourré de préjugés. Aucun Occidental ne pénètre en Union Soviétique
sans idées préconçues. » Il entre en Union Soviétique depuis la
Pologne vers la Biélorussie et Minsk, continue vers Moscou, puis les villes de
l’Anneau d’Or (Jaroslav, Souzdal..), Leningrad, les pays baltes, les villages d’écrivain
au sud de Moscou, Kharkov, Rostov-sur-le Don, le Caucase, la Géorgie, l’Arménie,
la Crimée, et la remontée en Ukraine vers Kiev et la sortie vers la Hongrie par
l’ouest de l’Ukraine vers la ville frontière de Chob.
« …j’allais seul, dans ma voiture personnelle, je m’arrêtais dans les campings et j’espérais parcourir 16’000 km sur toutes les routes – ou presque – qui m’étaient autorisées entre la Baltique et le Caucase. » « …tout avait été organisé depuis Londres et à la frontière polonaise. … Mon itinéraire, arrangé à l’avance et enregistré en détail, devait être longuement contrôlé par d’innombrables policiers de la route tout au long de mon voyage. … J’avais des bons pour camper, des bons pour prendre de l’essence, des bons pour aller à l’hôtel. … Mais mon passeport, irréprochable d’un point de vue technique, disait que j’étais « directeur d’une société de construction » et non écrivain. Cela devait me permettre, avais-je estimé, de passer plus facilement inaperçu. »
« …j’allais seul, dans ma voiture personnelle, je m’arrêtais dans les campings et j’espérais parcourir 16’000 km sur toutes les routes – ou presque – qui m’étaient autorisées entre la Baltique et le Caucase. » « …tout avait été organisé depuis Londres et à la frontière polonaise. … Mon itinéraire, arrangé à l’avance et enregistré en détail, devait être longuement contrôlé par d’innombrables policiers de la route tout au long de mon voyage. … J’avais des bons pour camper, des bons pour prendre de l’essence, des bons pour aller à l’hôtel. … Mais mon passeport, irréprochable d’un point de vue technique, disait que j’étais « directeur d’une société de construction » et non écrivain. Cela devait me permettre, avais-je estimé, de passer plus facilement inaperçu. »
Le récit de ce voyage est publié dans un livre actuellement épuisé : «
Les Russes » (un exemplaire est disponible à la Bibliothèque de Genève, aux
Bastions, cote BGE Th 2821 - Détail de
l’exemplaire : 1060208196).
A la fin de son voyage, au moment de sortir de l’URSS,
et après avoir été suivi pendant plusieurs jours par des agents du KGB, sa
voiture et ses bagages sont fouillés à la douane. Le carnet contenant toutes
ses notes de voyage se retrouve entre les mains d’un fonctionnaire qui ne peut
pas lire les notes codées. Colin Thubron est sûr qu’il va lui être confisqué. En
fin de compte, de guerre lasse, le carnet lui est rendu – et le livre a ainsi pu
être écrit. Ce qui frappe, c’est la liberté qu’il a prise tout au long de son
voyage pour échapper à la présence insistante des guides et autres
fonctionnaires chargés de le surveiller, et les innombrables rencontres qu’il a
faites. Pas de photos, mais des récits de rencontres si vivants que l’on croit
être avec lui sur le terrain. Un livre extraordinaire, pour une aventure
réellement hors normes dans l’URSS de 1982.
« Quand on ne veut qu’arriver, on peut courir
en chaise de poste. Mais quand on veut voyager, il faut aller à pied. » Jean-Jacques Rousseau (cité
par Bernard Ollivier)
Les deux derniers voyageurs sont des marcheurs au long
cours.
Peter Jenkins
(1951 - … ) Ce jeune Américain n’a que 22 ans quand il forme un projet peu
ordinaire : « J’avais
eu mon diplôme à Alfred University en 1973. J’étais si découragé par ce que
j’avais entendu à propos de ce pays que j’ai décidé d’y aller voir par
moi-même… avec mon chien Cooper. … J’ai trouvé qu’il ne suffisait pas de
marcher à travers l’Amérique. Il me fallait m’arrêter, travailler et vivre avec
les gens. » Il va ainsi se lancer, sans aucune expérience
préalable de la marche mais après un vigoureux entraînement physique, dans la
traversée des Etats-Unis à pied, depuis Alfred (nord de l’Etat de New York)
jusqu’à Florence (Oregon), sur la côte du Pacifique.
La première partie, d’Alfred
(15 octobre 1973) à La Nouvelle Orléans (11 avril 1975), représente 3'000 km…
et 13 paires de chaussures !
Comme il ne peut compter financièrement que sur lui-même, il s’arrête
en cours de route pour travailler. Progressivement, il s’endurcit physiquement
et s’ouvre à des rencontres qui lui révèlent ce qu’il cherche : une
connaissance directe avec des gens simples, qui vivent encore souvent dans des
conditions plus que modestes, dans une Amérique qui tend déjà à disparaître
dans l’uniformisation des commerces et des modes de vie d’une côte à l’autre.
Arrivé à La Nouvelle Orléans, il va y passer 14 mois pour gagner sa vie et rédiger
un premier livre : « A Walk Across America », malheureusement non
traduit en français.
C’est pendant cette période en Louisiane qu’il fait la connaissance de
Barbara.
Ils se marient, et pour lui, la continuation de son projet semble
définitivement compromise. Mais contre toute attente, Barbara décide finalement
de se lancer et de l’accompagner dans sa marche vers le Pacifique.
Les débuts
seront difficiles, mais la jeune femme démontre de belles capacités et, après
avoir traversé le Texas surchauffé, le Nouveau-Mexique, une partie des Montagnes
Rocheuses, ils se retrouvent pour l’hiver dans un petit ranch à 3000 m d’altitude.
Ils ne peuvent repartir qu’en mai, et ce n’est que le 18 janvier 1979 qu’ils
atteignent le Pacifique. Ils ont eu une idée magnifique : inviter tous
ceux qu’ils ont rencontrés et qui ont compté pour eux durant ce très long
voyage pour parcourir ensemble le dernier mile !
Au total, en cinq ans et trois mois, du 15 octobre 1973 au 18 janvier
1979, Peter Jenkins aura parcouru 7'560 km (Barbara « seulement »
4560 km !), avec à la clé deux best-sellers aux Etats-Unis, « A Walk
Across America » et « The Walk West ».
Au-delà de la performance
physique, c’est surtout l’extraordinaire contenu émotionnel et humain qui
caractérise cet exploit.
Bernard Ollivier (1938 - …) Après la mort de sa femme, ce journaliste proche de la retraite est
désemparé. Il lui faut quelque chose pour le motiver et lui faire reprendre
goût à l’existence. Pourquoi pas une longue marche ? Quelques marathons et un pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle
(2325 km) lui serviront de préparation. Mais son objectif est plus ambitieux
encore: pourquoi pas la totalité de la Route de la Soie, à pied ? 12’000 km!
Personne ne l’avait encore fait.
Il a 61 ans quand il quitte Paris pour Istanbul, véritable point de départ
de sa longue marche, qui durera 4 ans. Il ne peut marcher que du printemps à l’automne,
à cause de la neige qui ferme certains passages. A la fin de chaque étape, il
revient à Paris où il récupère et écrit le récit de son voyage. Il publiera
ainsi trois volumes.
La première étape (14 mai 1999 – juillet 1999), Istanbul-Téhéran
(pratiquement par les mêmes routes que celles empruntées par Françoise
Malleroff en 1974 dans son périple en 4L vers l’Afghanistan – voir compte-rendu
de la séance du 12 mars 2013), traverse la rude Anatolie.
Elle est interrompue dramatiquement, après 1700 km, à
Dogoubayezit, à quelques kilomètres de la frontière iranienne : une dysenterie
amibienne terrasse Bernard Ollivier et le contraint à revenir prématurément à Paris
après un long transport en ambulance et un séjour à l’hôpital à Istanbul. Heureusement il pourra se rétablir et repartir l’année suivante.
Le premier volume
s’appelle simplement « La Longue Marche » (éditions Phébus, 2000).
La deuxième étape
(mai – septembre 2000), au lieu de partir de Téhéran, repart de Dogoubayezit, à
l’endroit exact où la précédente étape avait été interrompue. Le but, cette
année-là : Samarkand (Ouzbékistan).
La difficulté
principale sera la traversée du désert au Turkménistan. Pour pouvoir affronter
à pied ces étendues surchauffées, il faut pouvoir boire 12 litres d’eau par
jour. Une telle quantité d’eau, ajoutée au poids du sac, est intransportable à
dos d’homme. Comment faire ? Ingénieusement, Bernard Ollivier va se construire
un chariot, l’EVNI (Etrange Véhicule Non Identifié !), à partir d’un vélo
d’enfant. Il lui permet de transporter son sac et sa ration journalière d’eau.
La visite de
Boukhara et la découverte de Samarkand permettent d’oublier les fatigues de
cette très longue étape. Le deuxième volume : « Vers Samarcande »
paraît en 2001.
La troisième étape
(juin – septembre 2001), de Samarkand à Turfan (Chine), le conduira à travers
le Kirghizistan et la traversée de la chaîne du Pamir, vers Kashgar, la célèbre
ville caravanière, puis le long du terrible désert du Taklamakan vers Turfan,
curieusement située au-dessous du niveau de la mer.
Le chariot est toujours là,
et bien utile dans ces régions arides et très chaudes. En passant la frontière
entre le Kirghizistan et la Chine, au col de Torugart (3500 m), Bernard
Ollivier quitte le monde musulman et ses traditions d’hospitalité pour
affronter le monde chinois, fortement policé et souvent peu hospitalier.
La quatrième et
dernière étape, de Turfan à Xi’an, (avril – juillet 2002),
offre toute de même
quelques très beaux moments (forteresse de Jiayuguan, grande muraille de Chine,
notamment), mais la fatigue commence à se faire sentir. Les étapes journalières
se font toujours plus longues, comme s’il voulait en finir plus vite. Le record
est de 67 kilomètres en un seul jour ! Et le fidèle EVNI est toujours là.
Le 10 juillet 2002,
après 4 ans et quelque 12'000 km, le but est atteint : la Tour de la
Cloche à Xi’an. L’aventure est terminée.
Le troisième volume :
« Le vent des steppes », paru en 2003, rend compte des troisième et
quatrième étapes, terminant ainsi un récit fascinant par le vivacité du récit
et la façon dont les petites et grandes aventures quotidiennes sont contées. Un
must pour tous les passionnés de voyage.
Bonus
Pour terminer, il faut mentionner ici l’aventure de l’« Out of Eden Walk » de l’Américain
Paul Salopek. Commencée en janvier 2013, elle se propose de relier à pied le
berceau de l’humanité en Ethiopie à la Terre de Feu au Chili, en suivant le
trajet des premiers peuplements. Un pari incroyable : 34'000 km, à
parcourir en 7 ans.
Les nouvelles sont données régulièrement par Paul Salopek
sur le site « Outofedenwalk.com ». Récits et photos permettent de
véritablement suivre ce marcheur de l’impossible.