par Ena Teepen
Le voyage dont il est question ici a été entrepris entre le 20 et le 27 mars 1989, organisé par une agence de voyage romande. A cette époque, le Yémen est divisé entre la République arabe du Yémen (Nord, capitale Sanaa) et la République démocratique et populaire du Yémen (Sud, capitale Aden), communiste et soutenue par l'Union Soviétique. Aujourd'hui, après une réunification en 1990, le pays est à nouveau divisé en zones tenues par les tribus sunnites (ouest du pays), les Houthis chiites au sud et à l'est, et par de groupes se réclamant d'Al-Qaeda. L'instabilité politique, les crises de violence qui surgissent sporadiquement, les enlèvements d'étrangers, rendent la visite du Yémen très problématique. C'est pour cela que ce récit prend toute son importance, puisqu'il nous permet de découvrir des régions aujourd'hui inaccessibles.
Carte du pays actuel
Les sites visités pendant ce voyage
20 mars – Sanaa
La première journée du voyage est consacrée à la capitale Sanaa. La visite de la ville permet de découvrir les particularités de l'architecture yéménite, avec ses hautes constructions très richement décorées.
Bab al Yemen - Porte du Yémen (photo internet)
Sanaa vue depuis le haut de la muraille qui entoure toute la ville
Les traditionnelles maisons hautes décorées, typiques de l'architecture yéménite
Ces constructions de 5 à 7 étages sont faites - en plaine - en glaise, en brique et en roseau, et en pierres à la montagne. Les maisons sont étroites, la largeur dépendant de la longueur des poutres, donc de la hauteur de l'arbre utilisé. A l'intérieur, les murs sont doublés de terre battue et de crépi comme isolants contre les fortes variations de température. Chaque maison, qui n'a pas de fondation, abrite une famille élargie. Au rez de chaussée: l'étable, le fourrage et les ustensiles. Au premier:les denrées alimentaires. Puis les étages des femmes, la cuisine, la salle de toilette. Le dernier étage, plus petit, sert de chambre d'hôte et c'est le lieu où les hommes se réunissent pour mâcher le qat. La belle décoration en stuc des façades varie suivant les régions et la richesse du propriétaire.
Le centre de la médina est très vert, chaque maison a son jardin où l'on cultive les fruits et légumes qui autrefois assuraient l'autosuffisance. Sanaa diffère des autres villes par sa fertilité: entourée de hautes montagnes, elle bénéficie des eaux qui coulent jusqu'au bassin de la ville. (Les textes en italique sont de Mme Teepen).
De nombreux jardins sont exploités en ville pour la production de légumes
Dans le souk, un homme mâche le qat, la drogue nationale dont il sera question plus loin.
Un élégant minaret. Il y a 130 mosquées à Sanaa, et autant de medressas, interdites aux non-musulmans.
Sanaa est coupée en deux par un oued, dont le lit sert à tout: rue, étables, poubelle, etc. S'il pleut, c'est un torrent qui nettoie tout !
21 mars – Sanaa – Amran – Ghorem – Kohlan – Hajjah - Sanaa
Dans une vallée fertile, nous partons avec un 4 x 4 à la découverte du pays.
AMRAN. - Muraille et porte d'enceinte de la ville médiévale du 10e siècle, construite en pierre et en pisé. Rues étroites et sans voitures, les enfants jouent au milieu des détritus.
Maisons étroites et simples, rues en terre battue. C'était jour de marché et près de la caserne nous apercevons un prisonnier qui se promenait avec des chaînes aux pieds.
GHOREM se trouve à 2700 m d'altitude dans un paysage désertique. Ce hameau se confond avec la terre et, en approchant, on découvre un beau château avec des tours rondes.
Paysages sauvages avec des milliers de terrasses bien cultivées où l'on peut avoir jusqu'à 4 récoltes par année. Les routes autrefois en terre battue ont été reconstruites récemment par les Chinois.
KOHLAN est un village qui s'étage le long de parois escarpées. Le rez de chaussée de la maison arrive juste au niveau du toit du voisin.
Tombe d'un marabout
Comme la hauteur du pays va du niveau de la mer jusqu'à 3700 m pour le point le plus haut, les vues sont splendides.
22 mars – Sanaa – Hodeida – Beit el Faqih – Zabid - Hodeida
La ville d'Hodeida, sans grand intérêt, s'est développée dans les années 70 grâce aux activités portuaires, C'est une des grandes portes du pays vers la Mer Rouge.
Zabid. - Ville fondée au 9e siècle, connue pour son université où aurait été inventé l'algèbre. Ici, le Palais Nasr du 18e siècle, et à côté, la mairie, dans un bâtiment du 13e siècle.
Le minaret de la mosquée Iskandar du 16e siècle et un exemple des belles portes célèbres dans le pays, bien travaillées, en bois ou en stuc, parfois en tôle.
23 mars – Hodeida – Khamis Bani Saad – Manaka – Hajjarah – Beit Ali - Sanaa
Le marché à Khamis Bani Saad, très animé.
Les voitures sont garées dans l'oued où les chameaux s'abreuvent. C'est aussi dans cette région et vers le sud que l'on a trouvé les plantations de café et la ville de Mokha. Le café pousse à l'état sauvage en Ethiopie et il a été introduit au Yémen au 15e s.. Les Ottomans en contrôlent le commerce au 16e s. et l'introduisent en Europe au 17e s. Le pays détenait alors le monopole mondial du commerce du café. Au 18e s., la production et la ville de Mokha déclinent. Actuellement, on fait des recherches dans les pépinières, car la qualité et l'arome du café yéménite demeurent incomparables.
En route, nous voyons plusieurs plantations de qat, plus rentables que le café.
Petit hameau typique au flanc de la montagne, où les maisons se chevauchent.
Hajjara. - Ce village s'admire depuis l'autre côté du wadi et n'est connu que pour son site.. Considéré comme un bijou caché dans la montagne.
Bel exemple d'architecture yéminite à Hajjara.
Hajjara toujours.
Manaka. - Encore un gros bourg célèbre pour son site. C'est un point de rencontre pour les habitants de toute la région.
Beit Ali. - Petit village entouré de champs d'un beau vert.
24 mars – Sanaa – Al Ghorza – Shiban – Kawkaban – Tulla – Al Ahjar – Tawila - Sanaa
Al Ghorza. - Comme souvent, le village se confond avec la montagne.
Tulla. - Situé à 2700 m d'altitude, il est considéré comme l'un des plus beaux villages du pays. Bien préservé, entouré de son enceinte en pierre, intacte depuis le 18e s., dominé par une superbe falaise de grès rose.
La porte de l'enceinte du 18e s. (La fillette réussira à me subtiliser mon stylo!)
Les décorations des maisons sont très variées.
Kawkaban et Shibam. - De loin on voit un paysage chaotique, mais en approchant on distingue Kawkaban à 3000 m sur un plateau et Shibam 350 m plus bas.
Depuis ce nid d'aigle qu'est Kawkaban, on domine un vaste paysage. Plusieurs citernes, creusées dans le roc, fournissent de l'eau et les silos à grains étaient remplis. Ainsi le peuple pouvait faire face à l'ennemi.
L'unique porte de l'enceinte, intacte, date du 13e s.
Une heure de marche dans un environnement de fin du monde et nous sommes en bas de la ville-soeur de Shibam. Cet endroit fut habité depuis le début de notre ère. On trouve dans les murs des maisons des inscriptions sabéennes et himyarites (périodes préislamiques). Il y a beaucoup d’habitations troglodytes.
La population est asssez hostile. Au marché, nous restons discrets.
Depuis notre 4x4, nous observons un marchand de qat. Le qat est un arbre de 3 à 7 mètres de haute, robuste, mais il a besoin d'eau. Il pousse entre 1500 et 2000 m.On le trouve à l'état naturel dans les montagnes d'Afrique orientale. Il est aussi cultivé au Yémen et se trouve classé comme 3e produit de consommation. Considéré cmme une drogue douce, chaque Yéménite en consomme. On coupe les jeunes pousses, et on en fait un paquet. Le prix varie selon les endroits. L'homme choisit sa qualité le matin au souk et s'occupe à mâcher entre 14 et 18 heures, en compagnie d'autres hommes, dans le salon d'hôte de la maison. Plus sa joue est gonflée, plus il est respecté. Le jus est euphorisant, constipe et rend nerveux. Il ne fallait pas contrarier notre chauffeur... Les femmes en consomment aussi, mais discrètement.
Al Ahjar, lieu de détente pour les Yéménites.
Tawila. - Dans un site sauvage, cette bourgade s'est développée au 19e s. le long d'une paroi rocheuse qui domine une vallée fertile.
Les maisons sont ornées de magnifiques pierres taillées.
25 mars – Sanaa – Wadi Dar – Al Rawdah - Sanaa
Par un wadi très fertile et vert toute l'année, nous arrivons à une petite merveille qui est le symbole du pays et sert de borne pour la province.
Wadi Dar, ou le "palais du Roc"
Cet extraordinaire palais de 5 étages semble défier l'apesanteur. Construit en 1930 au sommet d'un piton de grès rouge, c'était la résidence d'été d'un imam. Un puits foré dans le rocher suffit à son approvisionnement en eau.
C'est l'endroit le plus photographié du pays en dehors de Sanaa.
L'oasis est entouré de tours de défense et on a trouvé ici des vestiges préhistoriques.
Al Rawdha, petite ville de détente près de Sanaa. Plusieurs maisons ont encore leurs fenêtres d'albâtre. Ici, la mosquée du 17e s.
Un ancien palais d'un imam, transformé en hôtel, construit en pisé mais avec des fenêtres en verres colorés.
En faisant le tour, je découvre derrière un champ plein de déchets, mais pas de poubelles. C'est encore souvent ainsi au Yémen.
26 mars – Sanaa
Le Musée national de Sanaa est un ancien palais de 4 étages où on peu suivre tout le développement du pays depuis le néolithique, les rares objets de fouille, l'islam, le folklore, etc.
Le nouveau Musée national, construit après notre séjour.
Le voyage se poursuivra vers la Jordanie, avec entre autres, la découverte de Pétra.
Aujourd'hui, le Yémen en proie aux violences qui résultent des luttes entre sunnites et chiites locaux, soutenus respectivement par l'Arabie Saoudite voisine et par l'Iran, est un pays ravagé par guerre et inaccessible aux touristes. On ne sait pas quels sont les dégâts causés par ces combats incessants. Des hôpitaux sont détruits, des attentats à la bombe ravagent les marchés - le magnifique pays que l'on nous a présenté semble n'être plus qu'un lointain et inaccessible souvenir.
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