Ouzbékistan – au cœur de l’empire de Tamerlan
Par Jean-Marc Meyer
« En Ouzbékistan, seul le passé est aussi
imprévisible que l’avenir… »
Proverbe ouzbèque
Nous fîmes ce
voyage de 11 jours avec un groupe de 22 personnes à fin septembre 2012. C’était
notre première expérience d’un voyage organisé. Il nous emmena de Tashkent à
Khiva en avion, puis, par la route, à Bukhara, Samarkand, Shakhrisabz, pour
terminer à Tashkent.
00 Carte du pays et du voyage
La république
d’Ouzbékistan est indépendante depuis 1991, c’est-à-dire dès l’effondrement de
l’empire soviétique. Le dernier président de la République Socialiste
Soviétique d’Ouzbékistan, Islam Kadirov, a été élu président de la nouvelle
république en 1991 et constamment réélu depuis. Il dirige le pays d’une main
ferme. L’Ouzbékistan est grand comme dix fois la Suisse, compte 30 millions
d’habitants, en grande majorité des musulmans sunnites. La pays était autrefois
un passage obligé pour les caravanes de la route de la soie et pour celles
remontant de l’Inde vers la Russie et le nord de l’Europe. Culturellement,
c’est le seul pays d’une aussi grande richesse dans toute l’Asie Centrale.
01 Tamerlan
L’empereur
Tamerlan (Amir Temur) est né en 1336 à Shakhrisabz, à une soixantaine de
kilomètres de Samarkand. Il fit de Samarkand le centre de son empire, qui
s’étendait de l’Anatolie à la Chine, et de la Russie à l’Afghanistan et au
Pakistan. Il mourut en 1405, à l’âge (canonique pour l’époque) de 69 ans. Il
fut l’un des grands constructeurs de Samarkand. Trois grandes statues le
représentent : debout à Shakhribsaz, conquérant à cheval à Tashkent, et
assis dans sa capitale de Samarkand.
02 Tashkent Musée Amir Temur
Le premier
jour est marqué par une brève visite de la capitale, où nous découvrons notamment,
dans le vieux Tashkent, le quartier des édifices musulmans et la grande place
Khast- Imam, avec la petite et très ancienne mosquée Telia Cheikh, qui contient
le grand Coran d’Osman, probablement le plus ancien du monde.
03 Tashkent Mosquée Tellia Cheikh à
droite
En fin de
journée, nous nous envolons pour Urgench, dans le nord-ouest du pays, d’où nous
rejoignons l’ancienne cité de Khiva. La plus intacte et la plus reculée des
villes sur la route de la soie, elle était le siège du khanat de Khiva. Cité
médiévale et esclavagiste, son extraordinaire état de conservation permet de se
replonger facilement dans le passé et d’imaginer ce que fut la vie dans cette
oasis du désert il y a plusieurs siècles. Le dernier khan abdiqua sous la
pression des Soviétique en 1920.
04 Khiva Minaret Kalta Minor
05 Khiva Minaret Islam Khodja
Le mélange de
la terre cuite et des céramiques bleues et vertes confère à la ville une
remarquable unité.
06 Khiva Artisans
Au détour des
ruelles où bien sûr, toute circulation automobile est interdite, on rencontre
nombre d’artisans qui ne protestent jamais quand on les observe ni quand on les
photographie.
07 Khiva Mosquée Djouma
08 Khiva Harem du palais Tach-Khaouli
En passant
les portes des mosquées ou des palais, on découvre des véritables trésors,
comme l’extraordinaire construction en bois de la mosquée du vendredi (Djouma),
ou les somptueuses mosaïques qui ornent le harem du Palais Tach-Khaouli (vers
1830). Les quatre grands iwans au sud de la cour sont ceux du khan et de ses
trois épouses, et de l’autre côté de la
cour se trouvaient les servantes et concubines.
Mais il faut
quitter ce monde endormi et quasi irréel pour rejoindre par la route la grande
ville de Bukhara. Il faudra presque 10 heures de route pour parcourir les 450
km, tant l’état de la route est catastrophique. Aussi chaque détail du parcours
à travers le grand désert de Kyzyl Koum a-t-il son importance.
09 Sur la route de Bukhara Traversée
de l’Amou Daria
L’arrivée à
Bukhara est une vraie récompense après ce trajet éprouvant : le coucher du
soleil dans le cœur de la vieille ville. La petite place entre la mosquée Kalon
et la médersa (école coranique) Mir-i-Arab que domine l’imposant minaret Kalon
éclate de la lumière dorée du soir.
10 Bukhara Minaret Kalon
Du sommet de
ce minaret au beau décor de briques savamment disposées, on précipitait les
condamnés à mort. Les mœurs étaient bien différentes des nôtres !
11 Bukhara Le vieux bazar
Point de
croisement des différentes pistes de la Route de la Soie, Bukhara vivait
richement du commerce créé par les caravanes. Les constructions élaborées de la
vieille cité en témoignent, comme les quatre pavillons qui structurent les
souks de la ville, ou les nombreux caravansérails de la ville ancienne.
12 Bukhara
Liab-i-Haouz
Richesse
suprême dans ce pays quasi désertique, l’eau de ce petit lac en plein centre
ville, avec la fraîcheur de l’ombre offerte par les quelques arbres qui
l’entourent, apporte beauté et détente. Les clients du café avec sa terrasse
ombragée ne diront pas le contraire.
13 Bukhara Tchor Minor
Des nombreuse
mosquées de Bukhara, Tchor Minor, avec ses quatre minarets tous différents, en
est peut-être la plus inhabituelle. Elle se trouve dans un quartier très calme,
et dans la chaleur de ce début d’après-midi, elle avait pour nous une allure
toute particulière,
14 Bukhara Forteresse de l’Ark
Les émirs de
Bukhara firent tous de la forteresse de l’Ark leur résidence et le symbole de
leur puissance. La porte principale ouvre sur le Régistan, la grande place où
se tenait le grand marché de la ville. Les murailles sont en cours de
restauration, de même que l’intérieur de la forteresse, dont l’accès était
interdit ce jour-là. De vieilles photos donnent une très bonne idée de ce
qu’était la vie les jours de marché, au pied de la forteresse.
15 Bukhara Mosquée Bolo-Haouz
Face à la
forteresse de l’Ark se trouve l’étonnante mosquée Bolo-Haouz, avec son grand
auvent protégeant toute la façade, soutenu par ces fines colonnes de bois
sculpté qui se reflètent dans une pièce d’eau verdâtre. Tout cela dégage une
grande impression de calme, propice au recueillement et à la prière. Quand on
regarde cette façade, on tourne le dos au boulevard et à la circulation, un
vrai moment de paix intérieure, plus fort que dans la mosquée elle-même.
16 Bukhara Palabre
De la mosquée Bolo-Haouz, nous sommes partis à pied pour
voir la fontaine de Job et le grand marché moderne. En route, nous passons
devant un boucher en plein air qui débite un quartier de bœuf à même la rue, et
sur la grande place devant le mausolée construit sur l’antique fontaine de Job,
nous ne pouvons manquer d’être saisis par le spectacle de ces vieux hommes
réunis sous l’un des rares arbres fournissant une ombre suffisante, pour la
palabre quotidienne. Ils acceptent avec un grand sourire ma demande de pouvoir
les photographier.
17 Bukhara Mausolée d’Ismaïl Samani
Dans le parc
voisin, nous découvrons le mausolée d’Ismaïl Samani, petit cube de briques aux
parfaites proportions construit au début du Xe siècle. Au-delà de la première
impression créée par la symétrie, il faut s’approcher des colonnes plantées aux
quatre coins et des portes pour admirer la virtuosité des constructeurs qui
jouent avec les briques de terre cuite pour créer des décors d’un grand
raffinement. A l’intérieur, les tombeaux de la dynastie samanide semblent
rangés dans un certain désordre, mais leur grande simplicité (un bloc de marbre
blanc) laisse aisément monter le regard vers la voûte du plafond où là encore
le travail de la brique est admirable. Ce pure joyau nous est parvenu intact
depuis le Xe siècle, et c’est le plus ancien monument de la ville.
18 Bukhara Résidence de Faizullah
Khodjaiev
Pour terminer
notre visite de Bukhara, nous visitons une riche demeure d’un commerçant du
XIXe siècle, située un peu en dehors du centre ville. Elle était le lieu de
naissance et la résidence de Faizullah Khodjaiev, un communiste de la première
heure qui fut le premier président de la République Socialiste Soviétique
d’Ouzbékistan dans les années trente. Il fut condamné à mort par Staline pour
avoir critiqué la politique de culture intensive du coton imposée par Moscou,
et exécuté en 1938. Quand on pénètre dans cette vaste demeure familiale, on ne
peut qu’être frappé par l’opulence dans laquelle vivaient quelques riches
familles de Bukhara. Transformée en musée, elle permet de découvrir les détails
d’un intérieur entièrement préservé, depuis les chambres des jeunes enfants aux
grandes salles de réception très richement ornées. Une animation par une jeune
guide permet de comprendre comment les hommes et les femmes s’habillaient au
XIXe siècle, avec des vêtements en couches multiples, avec des codes
vestimentaires, et surtout les gros voiles qui masquaient complètement les
femmes, obligées de marcher à 6 pas derrière leur mari…
Après avoir
passé deux nuits à Bukhara, nous
reprenons la route en milieu d’après-midi pour rejoindre Samarkand. Si Khiva
est comme une capsule des temps passés qui nous est arrivée quasi intacte,
Bukhara a eu la chance de conserver une vieille ville à l’intérieur des remparts,
où la circulation automobile est interdite et où les constructions modernes ont
été repoussées à l’extérieur des remparts. Ainsi un premier cercle est constitué
par les habitations de l’époque de la « colonisation » russe au XIXe
siècle, et encore au-delà, on trouvera les bâtiments plus sinistres et plus
délabrés de la période soviétique, mélangés avec ceux construits depuis l’indépendance
en 1991. Le cœur de la ville est intact, les bâtiments ont tous une magnifique
unité de style, et cela permet de mieux imaginer ce que fut la vie au temps des
caravanes de la Route de la Soie.
19 Samarkand Nécropole Chah-i-Zinda
La découverte
de Samarkand, l’ancienne capitale de Tamerlan (ou Amir Temur), commence par une
visite à la nécropole de Chah-i-Zinda. Sur une colline, une série de mausolées
décorés des plus belles céramiques se pressent le long d’une allée étroite.
Au-delà, sur la colline poussiéreuse, des tombes plus modestes sont réparties
dans un grand espace. La montée raide des premiers escaliers vers l’allée
principale amène à un arc au-delà duquel se pressent, de chaque côté de l’allée,
serrés les uns contre les autres, les différents mausolées. Façades aux
céramiques éclatantes, intérieurs plus ou moins décorés, ce n’est qu’une suite
d’émerveillements.
20 Samarkand Mosquée Bibi-Khanoum
Sur une autre
colline, à côté du grand bazar central, se dresse le très grand complexe de la
mosquée de Bibi-Khanoum : un grand quadrilatère arborisé avec un grand piédestal
en pierre pour le coran, une entrée monumentale, deux petites mosquées
latérales et la grande mosquée face à l’entrée. Construit par Tamerlan, cet
ensemble impressionne par son ampleur.
21 Samarkand
Reghistan
Autre point
fort de Samarkand, le Reghistan. Soigneusement restauré, il forme l’ensemble le
plus grandiose de toute l’Asie Centrale. La grande place est bordée au fond par
la médersa Tilia Kari, à gauche par la médersa d’Ulug Beg (le grand savant
astronome de Samarkand) et à droite par la médersa Chir Dor, avec sa mosaïque
aux deux tigres en haut de la façade. La lumière joue avec les couleurs des
façades, et il faut pouvoir revenir à différentes heures pour apprécier la
richesse et la grandeur incroyables de cet ensemble. On ne se lasse jamais de
contempler ce groupe de médersas toutes plus imposantes les unes que les autres,
avec leur façade couverte de mosaïques et leur grand dôme d’un bleu turquoise
intense. Le Reghistan, c’est en quelque sorte la signature de Samarkand.
22 Samarkand
Gour Emir
Plus loin se
dresse le mausolée de Tamerlan: le Gour Emir. Un premier portail monumental, un
petit parc, un second portail flanqué de deux hautes colonnes décorées de
céramique, puis le cylindre central surmonté de son dôme aux fines cannelures
en céramique. Un ensemble d’une beauté impressionnante. A l’intérieur, quelques
tombes, dont l’une, pas la plus grande mais de pierre sombre, est celle de l’empereur
Tamerlan.
23 Col de Takhtakaratcha vers Shakhrisabz
Le lendemain,
nous partons avec une colonne de voitures (les bus sont interdits sur cette
route de montagne jugée trop dangereuse) vers la ville natale de Tamerlan :
Shakhrisabz. Pour cela, il nous faut franchir une petite chaîne de montagne par
le col de Takhtakaratcha, à 1675 m. Avec son petit marché de noix, de fruits et
de fromages séchés, il paraît bien innocent. C’est pourtant par là que les
troupes soviétiques sont passées en 1979 pour aller envahir l’Afghanistan.
24 Shakhrisabz Ak Seraï Le Palais
Blanc
Outre une grande
statue en pied (moderne) de Tamerlan, se dresse dans sa ville natale les ruines
monumentales de son Palais Blanc (Ak Seraï), avec des tours de 65 mètres de
haut. Il avait le sens de la grandeur ! Le reste de la ville est sans
grand intérêt, si ce n’est le coup d’œil sur lal vie d’une petite ville d’Asie
Centrale : marchandes accroupies devant leur étal, boucherie en plein air,
costumes colorés, petits mausolées, dômes turquoise ou bleus.
25 Retour de Shakhrisabz
Sur la route
du retour vers Samarkand, on voit des paysans avec leur âne, des enfants jouant
au bord de la route, des marchands de fruits, et cet étonnant groupe de femmes
revenant d’une corvée de bois.
Le lendemain
matin, nous quitterons le grand caravansérail soviétique qui nous a servi d’hôtel
et nous reprendrons la route vers la capitale Tashkent. L’occasion de voir les
groupes attendant un petit bus le long de la route, les étals de fruits, un
troupeau de moutons bruns, quelques antiques tracteurs survivants de l’époque
soviétique, et le chantier de construction de la ligne à grande vitesse
Tashkent-Samarkand !
26 Tashkent Place Amir Temur
Une dernière
visite au musée national, un petit tour en métro, si semblable à ses cousins de
Saint-Pétersbourg ou de Moscou (les fastueux décors en moins !), et une
marche à travers la ville, de la place Amir Temur en direction de l’hôtel.
Réveil avant l’aube pour affronter les multiples contrôles à l’aéroport – et c’est,
trop vite, le retour vers Istanbul et Genève.
Sans
prétendre avoir découvert l’Ouzbékistan comme l’avait fait Ella Maillart avant
la Seconde guerre mondiale, mais avec cette fopis-ci tout le confort
psychologique d’un groupe fortement encadré par une guide russe et un guide
local ouzbèque, nous sommes entrés en contact avec cette Asie Centrale si
mystérieuse, nous avons humé le parfum d’une histoire somptueuse et si mal
connue, nous avons rêvé de la vie des caravanes, nous avons vibré aux
évocations des princes et des savants d’une vie de cour si riche et parfois si
cruelle ! Pour tout cela, l’Ouzbékistan est une destination indispensable
pour tous ceux qui veulent sortir des routes connues de l’Europe et se plonger
dans un tout autre monde.
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