jeudi 4 septembre 2014

Séance du 17 juin 2014

Jean-Louis Etienne: "Le pôle intérieur. Mener sa vie comme une aventure".
par Colette B. Evard

Pour la dernière séance de l'année académique, et juste avant le début de l'été, Colette B. Evard a choisi de nous emmener vers les solitudes glacées des pôles, en compagnie d'un explorateur exceptionnel: Jean-Louis Etienne.

Jean-Louis Etienne

"Sentir la magie des lieux... Explorer les limites de mes propres forces..." J.-L. Etienne: Le Pôle intérieur

En 1986, à la conquête du Pôle Nord

Formation - Né le 9 décembre 1946 dans le Tarn, il fait d'abord un CAP d'ajusteur sur métaux, suivi d'un baccalauréat technique, puis il entreprend des études de médecine, où il se spécialisera en chirurgie orthopédique. Un diplôme d'études supérieures en diététique et en génie alimentaire, puis un diplôme en biologie et médecine du sport, complètent très judicieusement sa formation. 

La formation d'ajusteur sur métaux

Les études de médecine

Cordillère des Andes - La passion pour la montagne va l’entraîner vers quelques grandes ascensions dans les sommets des Andes, comme le Fitz Roy ou le Rizo Patron. Mais la solidité de sa formation lui permet de toujours bien évaluer les risques, et ainsi de renoncer quand le danger devient trop grand, comme se fut le cas lors de l'ascension du Fitz Roy. 

Tentative avortée de l'ascension du Fitz Roy

Médecin en haute merUne rencontre fortuite avec Eric Tabarly va l'entraîner vers une nouvelle aventure: il sera médecin dans une course autour du monde à la voile, entre 1977 et 1978.

Sur le Pen Duick VI, le bateau d'Eric Tabarly

Chaîne de l'Himalaya - Sa réputation grandit et il est demandé comme médecin dans des expéditions d'alpinistes vers les plus hauts sommets du monde, en 1980 au Broad Peak (8047 m.), proche du K2 dans le Cachemire, et en 1983 à l'Everest (8848 m.), par la face Nord, avec Yanick Seigneur. Il se prépare soigneusement et jouera son rôle de médecin en aidant les alpinistes à prendre les bonnes décisions: dans les deux cas (le manque d'oxygène au Broad Peak et les conditions météo à l'Everest) il faudra renoncer. C'est une décision difficile à prendre tant les enjeux sont grands, mais c'est la sécurité qui s'impose.

A l'entraînement

L'expédition au Broad Peak (Cachemire) en 1980

Avec l'équipe vers l'Everest en 1983


Sur les pentes de l'Everest

Expéditions polaires - Les conditions extrêmes en très haute altitude ont été une excellente préparation pour le nouveau projet de Jean-Louis Etienne: une tentative de rejoindre le Pôle Nord géographique à pied en solitaire. Il se lance en 1985, mais se sera un échec: 
« Pendant les quinze jours que dura cette première tentative, je vécus en enfer. Dès le deuxième soir, je savais que je courais à l’échec. Ou plutôt je m’y traînais, car j’avais dépensé une énergie colossale pour faire… quatre kilomètres en huit heures. A ce rythme, il me faudrait plus de six mois pour atteindre le pôle ! ... Mon matériel, surtout, se révélait beaucoup trop lourd : quatre-vingt-cinq kilos à hisser dans ce dédale de blocs, c’était infiniment trop. ... Les crêtes de compression, formées par l’affrontement des plaques de banquise en perpétuel mouvement, peuvent mesurer dix mètres de haut. Il fallait les longer, trouver un petit passage permettant d’atteindre l’autre côté. Je passais les trois quarts de mon temps à hisser péniblement le traîneau par-dessus des blocs de glace sur lesquels je devais d’abord me jucher. Monter, hisser, descendre, monter hisser, descendre ! ... 
Au second jour de la 2e étape ce fut l’accident, je tombai dans un trou, dont je me sortis in extremis, en manquant de perdre le traîneau.»  
C'est l'échec. Un avion de secours viendra récupérer l'explorateur.

Une nouvelle tentative en 1986 sera la bonne, mais à quel prix! Seul, à ski, en tirant un traîneau, avec quelques points de ravitaillement pour les vivres et recevoir des habits secs, ravitaillement qui partait de Resolute Bay au rythme d’une fois par quinze jours.

La banquise dans la région du Pôle nord est très accidentée


La saison d'été est très courte: seulement 3 mois


Comment affronter un tel terrain? 


Le nouveau traîneau extra-léger fut la solution pour pouvoir progresser dans ce terrain aussi hostile


La balise Argos: le meilleur moyen, à cette époque, pour signaler sa position en tout temps

Dès 4 heures de l'après-midi, après 8 heures de marche, il faut monter la tente pour la nuit


Le moment du repas du soir est très important

«Le journal de bord était mon fidèle confident à qui je racontais mes joies et mes peines tous les soirs.»

Le traîneau doit lui aussi passer partout

Chaque obstacle sur la banquise impose un effort de plus  
"L'univers qui m'entourait possédait une intensité et une présence glaciale envoûtantes, bien plus forte que tous les théâtres du monde. ... Tout y est irréel, excepté le froid et ses piquants. Le froid partout, dans les os, dans le sang, dans les nerfs. Toutes les violences faites au corps humain soumis à un environnement implacable.. ...La banquise est un monde chargé de mystère, invraisemblable et magnifique.» 

Comment passer ? 
«Vous ne pouvez pas imaginer ce qu'est la banquise. Combien elle est dure, impitoyable. ... Tomber à l’eau était finalement, bien plus que les ours, le principal danger mortel. Je m’avançais donc avec prudence, très lentement.»

Là c’est le seuil, La dernière Porte !» 

Il apprend par contact radio qu’il est tout proche du but.  
A la radio, je ne cessais de crier : 
«Je suis au Pôle, je suis au Pôle ! »

Le 11 mai 1986, Jean-Louis Etienne a atteint le Pôle Nord


Le Pôle intérieur
«Le pôle n’était plus une conquête mais un chemin de plus en plus éclairé.
«Je savais aussi maintenant que du pôle on ne domine rien, ce n’est pas l’ascension d’une montagne, c’est un rendez-vous au milieu de l’océan,  un sommet invisible que l’on porte en soi

En 1987, nouvelle expédition, au Pôle nord magnétique cette fois... et avec un groupe d’explorateurs.

Et au retour de chaque expédition, c'est l'occasion de partager  ses aventures avec des écoliers et des lycéens.

1995-1996: Hivernage au Spitzberg (Svalbard) - Durant cet hiver passé dans l'Antarctica, un bateau en acier spécialement conçu pour résister aux efforts de la banquise qui se referme autour de lui, c'est l'occasion d'observer notamment les aurores boréales pendant la longue nuit polaire de novembre à fin février. 

Au début de l'expédition, la mer est encore libre autour de l'Antactica

Au coeur de l'hiver polaire, la banquise se referme autour du bateau et les tempêtes le recouvre de glace

Mission banquise - D'avril à juillet 2002, Jean-Louis Etienne va dériver sur la banquise dans un module de survie, le Polar Observer, construit pour résister aux contraintes de l'Arctique: flotter, échapper aux compressions éventuelles de la glace, protéger du froid. Il y fera toute une une série d'observations scientifiques: mesures de température, pression et salinité, étude du plancton, prélèvements de carottes de glace, mesures de la lumière.


Le Polar Observer, construit en matériaux composites, avec des cellules photovoltaïques por la production d'électricité, et des mousses isolantes capables de maintenir une température intérieure de 15°C par une température extérieure de -30°C.

Dans la solitude arctique


A la fin de l amission, le Polar Observer est récupérer par un navire de la marine russe

Generali Arctic Observer, avril 2010 - La dernière mission dans l'Arctique, à l'âge de 64 ans, consistera à traverser l'Océan Arctique en ballon: c'est le troisième élément de la trilogie arctique, après la marche en solitaire vers le Pôle Nord en 63 jours, en 1986, et la Mission Banquise avec le Polar Observer en 2002. Parti du Spitzberg, il survolera le Pôle Nord avec l'intention d'atteindre l'Alaska, mais la tempête et les vents violents vont le pousser vers la Sibérie où il finira par se poser, après une navigation dangereuse et très éprouvante dans sa "Rosière", un ballon gonflé avec un mélange d'hélium et d'air. 
Les préparatifs du départ


Au Spitzberg, tout semble encore aisé...


A la merci des vents, le ballon va dériver vers la Sibérie où l'explorateur pourra enfin être récupéré. Mais il a réussi à traverser l'Océan Arctique en ballon!

Expédition Antarctica (août 1991 - février 1992) - Retour en arrière pour aborder les différentes expéditions dans la région du Pôle Sud. Pour se lancer dans ces eaux nouvelles, Jean-Louis Etienne fait construire un bateau en acier d'une conception toute particulière, capable de résister aux conditions difficiles de ces mers glacées: l'Antarctica.

Construction de l'Antarctica


Dans les mers du Pôle Sud

Expédition Erebus (décembre 1993-mars 1994) - C'est une rencontre avec le volcanologue Haroun Tazieff qui a décidé de cette nouvelle expédition dans l'Antarctique. Le volcan Erebus, sur l'île de Ross, au fond de la grande échancrure de la mer de Ross, profondément à l'intérieur du continent, culminant à près de 3'800 m, est un volcan actif contenant un lac de lave en fusion. Haroun Tazieff avait tenté en 1974 déjà d'atteindre ce volcan, mais en vain. Parti de Hobart en Tasmanie, l'Antarctica réussi à se frayer un chemin dans les glaces de la mer de Ross jusqu'au pied du volcan. Après une pénible ascension, il faut constater que le cratère est effondré et que le lac de lave est inaccessible au fond d'un grand puits. Il sera juste possible de descendre une sonde au fond du puits pour quelques prélèvements, puis il faudra abandonner.

De Hobart en Tasmanie jusqu'à la mer de Ross

Au pied du volcan Erebus

Du matériel de prélèvement est descendu au fond du cratère éventré par les explosions. On ne pourra guère faire plus. Il faudra ensuite retourner vers la Tasmanie.

Transantarctica (juillet 1989 - mars 1990) - La traversée du continent antarctique avec des traîneaux à chiens: une expédition internationale regroupant des scientifiques américain, russe, japonais, anglais, français (Jean-Louis Etienne) et chinois. L'équipe se prépare en 1988 avec une traversée du Groenland avec des traîneaux à chiens sur quelque 2'000 km. Avec l'expérience acquise, il est dès lors possible d'entreprendre la traversée complète du continent antarctique (6'300 km), entre juillet 1989 et mars 1990, soit pendant l'été en hémisphère sud. Une expédition que personne n'avait encore tenté.

Le trajet de l'expédition

Il y a trois traîneaux de vivre et de matériel, chacun tiré par douze chiens

Ce désert blanc est beau et souvent effrayant

Les chiens tirent les traîneaux, et les hommes skient

Bien que ce soit l'été, les conditions peuvent parfois être terribles quand il faut s'arrêter pour pique-niquer....

Quand l'expédition atteindra son but et aura traversé tout le continent antarctique, le monde aura changé: le mur de Berlin est tombé et toutes les relations entre états commencèrent à changer !

Expédition Clipperton (décembre 2004 - avril 2005) - L'atoll corallien de Clipperton, perdu dans la Pacifique, au large des côtes du Mexique et de l'Amérique centrale, est l'un des sites les moins perturbés du monde. Jean-Louis Etienne s'y installera pour plusieurs mois avec sa famille et plusierus scientifiques pour une étude pluridisciplinaire: identification, comptage et origine des espèces, étude du passé climatique, recherche de réponses aux agressions environnementales actuelles. 

Localisation de l'atoll de Clipperton

Comme toujours avec Jean-Louis Etienne, un livre relatera l'expédition

La vie dans les cabanes sur l'îlot corallien de Clipperton a sans doute inspiré l'explorateur pour son mode de vie actuel, dans une cabane confortable suspendue dans les arbres d'une forêt du Tarn: "Après avoir arpenté la Terre, imaginé prendre refuge dans les plus beaux endroits du monde, j'ai fini, tel Ulysse, par revenir au pays, construire cette cabane en bois et verre perchée dans une forêt perdue sur les coteaux du Tarn."


Ce pourrait être le moment de profiter pleinement d'une retraite paisible dans ce cadre magnifique, mais est-ce vraiment ce à quoi aspire un homme tellement doué pour explorer le monde? Un nouveau projet a germé, et en décembre prochain, ce sera le départ de Polar Pod: la circumnavigation du continent antarctique dans un engin incroyablement fou, flottant dans les eaux glacées et emporté par les courants.




Polar Pod est une construction de 120 m de hauteur, pesant 720 tonnes. Au sommet d'une tour métallique lestée se trouve une vaste nacelle qui flottera au-dessus du niveau de la mer, fournissant le logement et les espaces de travail pour une équipe de plusieurs personnes

Autosuffisante, la plate-forme océanographique dérivera silencieusement autour du continent, tirant son énergie de ses trois éoliennes, et permettant entre autres l'étude des conditions climatiques, des échanges air/océan, du plancton, etc.

Colette Evard nous a entraînés avec elle dans son exploration de la vie incroyable d'un homme assoiffé de découvertes. Elle a su nous faire comprendre la force qui pousse cet homme à travers le monde - et à travers sa vie.